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Les gratte-ciels de Benidorm

  • didier turcan
  • 18 juin 2012
  • 3 min de lecture

Costa Blanca, Espagne. Ce congrès réunissait de nombreux spécialistes de l’économie régionale venus du bassin méditerranéen pour confronter leurs expériences et vanter leurs projets. Les maires de Tunis, Barcelone, Naples, Marseille et Valence avaient fait le déplacement. La plupart des responsables politiques nationaux conviés s’étaient fait représenter. Le Secrétaire général du Comité des Régions de l’Union Européenne, lui, était présent mais avait averti qu’il devait repartir très tôt le lendemain matin avant l’ouverture de la seconde journée du congrès.

Devant une affluence inattendue, le congrès tenait ses sessions et plénières à l’hôtel Melia Villaitana, véritable village reconstitué et à l’Asia Gardens, morceau d’Asie en Espagne. Les deux complexes hôteliers étaient distants de quelques centaines de mètres l’un de l’autre. Une logistique réactive et bien conçue se chargeait de gommer ce désagrément.

Les discours et interventions de la journée avaient jusque là été assez consensuels. Un orateur, invité de dernier moment, se tenant en bout de table, fut présenté comme observateur indépendant. La parole lui fut donnée pour un mot de conclusion. Après avoir remercié les organisateurs du congrès et salué, comme il se doit, la qualité des débats, il fixa la salle comble un instant et d’une voix grave et posée entama :

« Soyons honnêtes, nous ne maîtrisons plus vraiment la situation et nous ne feignons même plus d’en être les instigateurs. Oui, il nous faut sortir de la mondialisation financière mais dans sa forme actuelle. Pas question de contraindre les flux de capitaux, bien entendu, mais de les détourner, oui, des marchés financiers internationaux. Il faut –comment dire ?- assécher les marchés financiers et réorienter les liquidités et l’épargne vers l’économie réelle, vers les projets de territoires ».

L’orateur marqua un temps, considéra encore silencieusement son auditoire et reprit :

« La crise financière profonde que nous traversons ne passera pas toute seule. Les dangers sont réels d’une implosion de tous nos édifices, des Etats aux banques, des Unions économiques régionales aux grandes entreprises. N’attendons pas le cataclysme pour mettre en place une sorte de Plan Marshall d’initiative privée. Nous devrions en réalité nous comporter et nous sentir comme vivant une période d’après-guerre. Comme à ces moments de l’Histoire où il faut tout reconstruire. Alors reconstruisons ce qui n’est pas encore tout à fait détruit mais qui ne va pas tarder à l’être ».

L’orateur à nouveau s’interrompit, bût une gorgée d’eau et poursuivit dans un débit plus lent encore :

« Les périodes d’après-guerre sont toujours des périodes d’économie positive. Où il n’y a plus rien d’autre à faire qu’à redécoller. Ces périodes sont propices aux grands travaux qui recréent de l’activité et de l’emploi. Lançons nos grands travaux mais faisons confiance pour cela aux territoires. Concevons ces grands travaux, ces grands projets dans le cadre de nos territoires et finançons-les au moyen de tous ces capitaux en mal d’investissements et en errance. Il nous faut reterritorialiser l’économie. En refondant l’économie mondiale sur un millier seulement de projets territoriaux, les risques d’implosion des systèmes sont annihilés. Nous vivons une période inédite où les investisseurs internationaux en arrivent à prêter à taux zéro à des pays comme l’Allemagne. Ils prêtent pour rien leur argent de peur de le perdre dans d’autres placements jugés plus hasardeux. C’est dire l’absence totale de confiance de ces mêmes investisseurs dans l’offre actuelle. Captons ces capitaux nomades au profit des projets de territoires, mesurables, quantifiables, concrets. L’économie de la rente n’est plus envisageable quand l’économie réelle souffre et vacille ».

L’orateur releva la tête, se recala sur son siège et, d’un signe discret, signifia au président de séance qu’il en avait terminé. La salle en aurait bien demandé un peu plus mais l’orateur ne dît plus rien. L’instant d’après, il s’éclipsait discrètement.

Dehors, sur la terrasse, les tables nappées de blanc étaient déjà dressées pour le premier dîner de gala. Au loin, les gratte-ciels de Benidorm s’élancaient , fiers, en coupant l’horizon et la mer et dessinant sur fond de ciel comme un monstrueux diagramme. Plus loin encore, on devinait les fortifications de l’île de Tabarca qui servait au XVIIe siècle de refuge et de base d’appui aux pirates venus des côtes d’Algérie. Les convives prenaient place, une brise, légère, venait de se lever.

turcan@covos.fr

 
 
 

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