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Ohio Cincinnati Flash

  • didier turcan
  • 20 nov. 2017
  • 5 min de lecture

Sans grande originalité, elle s’est érigée là où le fleuve fait un coude.

Vue du ciel, Cincinnati semble avoir été dessinée. Elle forme comme un gigantesque puzzle qui aurait été assemblé hors sol puis posé là, sur l’herbe bleue, épousant scrupuleusement le capricieux lacet de l’Ohio River.

Le survol de la ville en hélicoptère est toujours une expérience très recherchée. Pour la quinzaine de rotations quotidiennes, un seul trajet, immuable. Lancé à grande vitesse depuis le fond de la vallée et à basse altitude, le Robinson R 44 se cabre et s’élève à l’approche du fleuve. En surplomb du Newport Aquarium, l’appareil se fige en position stationnaire et, peu à peu, la forme en croissant de la « Queen City » se révèle, évidente.

Au début du siècle dernier, un célèbre aérostier local, pur produit de la bourgeoisie cultivée issue de l’immigration allemande, avait eu l’idée d’affubler Cincinnati du surnom, un de plus, de « petite Australie » tant ses contours évoquaient ceux du continent océanien.

L’image fut exploitée pendant quelques années par les campagnes de promotion du comté puis fut vite délaissée au profit d’une accroche rajeunie.

Une petite minute de contemplation, pas davantage, et le vol reprend pour un rapide tour de la ville, de Milford à Sharonville puis de Northgate à Florence en passant par Lawrenceburg. Puis le moment trop vite arrive d’un retour à la base après un dernier survol des piles gigantesques du Roebling Bridge, le vieux pont suspendu présent sur tous les clichés pris de la ville, une ville qui eût pu, à quelques mètres près et par une simple fantaisie de l’Histoire, se retrouver dans le Kentucky.

Rien ne sera retenu des précieux conseils de visite généreusement donnés par cet ami croisé au bar du Cincinnatian Hotel. Et l’impressionnante serre Art Deco du Krohn Conservatory, la collection de tableaux des grands maîtres européens du Cincinnati Art Museum, l’observatoire de la Carew Tower et même les Bengals du Paul Brown Stadium, pour l’heure, attendront.

Cette caractéristique est commune aux grandes villes américaines. Les deux-tiers des rues de Cincinnati sont des routes. De quoi faire perdre leurs repères aux visiteurs européens - citadins en leur pays - et les dissuader de s’aventurer au-delà de downtown.

Ce drôle de chapeau pointu, au sud de la ville, c’est Over-the-Rhine. Le quartier recèle quelques pépites et parmi elles le Findlay Market. Six jours par semaine, entre Race Street et Elm Street, les lieux heureusement s’animent de ce vaste marché coloré devenu aujourd’hui une véritable institution qui attire, d’une année sur l’autre, toujours plus de monde.

Le Findlay Market est reconnu pour être un formidable créateur d’ambiance et chaque jour, la magie opère. L’acte d’achat s’y inscrit dans le seul prolongement de l’état de bien-être qui saisit tant les autochtones que les voyageurs bien informés, conscients de se retrouver plongés dans un authentique paysage sensoriel. L’attractivité du lieu a, depuis quelques années, suscité de nombreux articles de presse et quelques mémoires de fin d’études qui, tous, ont cherché à percer le mystère de cette communion de l’œil et des autres sens en cet endroit a priori banal. Consécration suprême, la tenue récente d’un colloque au McMicken Hall à l’initiative du département Design, Art et Architecture de l’Université sur le thème « Emotions et ressentis partagés au Findlay Market ». Un orateur y a conclu son propos sur le mode boutade, se félicitant que les américains tinssent enfin, grâce à Cincinnati, leur syndrome de Stendhal.

Originaire de Sante Fe, au Nouveau Mexique, Luis était arrivé à Cincinnati quinze ans plus tôt. Il avait élu plusieurs domiciles dans la ville avant de se fixer résolument dans le quartier de Mount Adams. Sur St Gregory Street il repéra un local encore exploité mais en fort mauvais état qu’il entreprit d’acquérir, de retaper et de transformer en restaurant qui devait connaître un surprenant succès sous l’enseigne « 3T,s » pour tortillas, tacos, tapas.

Il est aujourd’hui d’usage de venir terminer la soirée chez Luis en sortant du Great American Ball Park et la proximité du Jack Cincinnati Casino lui ménage une clientèle régulière d’insomniaques jusqu’au petit matin.

Luis ne dort jamais. A toute heure du jour et de la nuit, on le voit s’affairer derrière son comptoir ou nonchalamment assis à la table de quelques habitués. Fiché au cœur d’un quartier où se sont jadis bâties les plus belles résidences de la ville, son restaurant est un morceau de culture chihuahua en terre yankee. Réservés au départ, les habitants de Mount Adams se sont de bonne grâce convertis au folklore des lieux, aux saveurs variées du burrito, à la bière Cucapà dont Luis se fait l’inlassable promoteur et surtout à la spécialité maison, le gâteau aux trois laits, particulièrement apprécié des Reds.

Piatt Park est un endroit fait pour l’automne. C’est un coin de verdure qui préserve de la neurasthénie les immeubles déjà très austères qui bordent Garfield Place. C’est une oasis qui soustrait un moment le visiteur au tumulte environnant et lui suggère l’abri de sa frondaison. C’est un lieu de rendez-vous respectables ou l’occasion d’une tendre promenade. C’est un moment suspendu, propice aux rêveries solitaires ou aux déjeuners sur l’herbe entre amis ou collègues. Piatt Park est une parenthèse urbaine enchantée qui fait davantage encore aimer la ville.

Tout au nord, Carthage n’est pas un quartier, c’est un village. Où chacun semble avoir construit sa maison un peu comme il le voulait tout en copiant son voisin.

Ici tout le monde se connaît. L’endroit est un modèle d’espace vécu, on y fait société sitôt franchi le pas de sa porte. Sillonné toute la journée par ses fameux bus blancs et bleus, Carthage est aussi un exemple d’insertion d’un bâti soft dans un décor agreste, à quatre miles de Fountain Square.

C’est à partir de Fairpark Avenue qu’on peut entreprendre ce parcours original qui relie l’essentiel des fresques murales de la ville. On l’ignore mais Cincinnati est une véritable pinacothèque à ciel offert, un livre de pierres. Le street art – ou art public – y a très tôt reçu ses lettres de noblesse. Et tout à cette thématique, le visiteur est à chaque bloc témoin d’une explosion de couleurs. Les peintures occupent parfois toute la hauteur d’immeubles de quatre étages, les portraits gigantesques, les trompe – l’œil, les caricatures géantes se sont emparés de tous les supports que pouvait proposer, bien malgré elle, la ville.

De Saint Bernard à Queensgate, à profusion les œuvres anonymes les plus variées s’exposent ainsi au regard du marcheur. Personnages imaginaires et insolents ou créatures de légendes provoquent, militent, interpellent et colorent rues et places. Ici une petite fille géante arrose un arbre bien réel, là James Brown tord son corps et maltraite son micro.

Plus loin, dix-huit visages monumentaux, bouche ouverte, composent le mur chantant. Un peu plus loin encore, au cœur de la ville, sur un fond arc-en-ciel, Neil Armstrong rappelle qu’il restera à jamais le premier. Et bien à l’honneur, Jim Tarbell, éminent politicien local surnommé sans complexe Monsieur Cincinnati, smoking, écharpe blanche, haut de forme, tout en élégance mais d’un autre siècle, nous adresse en souriant son plus cordial salut.

Cincinnati n'a qu'un défaut, Elvis n'y est pas né.

turcan@valauval.fr

 
 
 

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