Cette compassion inaudible
- didier turcan
- 15 juil. 2016
- 3 min de lecture
23h45. Ce jeudi 14 juillet 2016 s’achève et il ne s’est rien passé. Pas de drame, pas d’attentat.
Puis, l’information tombe. Nice, l’horreur. Là, tout bascule à nouveau. Les mêmes commentaires vont reprendre, les messages de condoléance vont affluer de l’étranger, les appels au calme et à l’unité vont être lancés, les ministres vont faire part de leur douleur et assurer les familles des victimes de leur solidarité, les personnels politiques vont défiler devant les micros ou publier des tweets pour témoigner de leur soutien (?), de leur peine, de leur compassion. Et, surtout, en un réflexe de préservation clanique, des appels appuyés à ne pas polémiquer en de telles circonstances.
Alors, soudain, sous la douche, la lassitude, une très grande lassitude.
Pout tout cela, un instant, le silence. Puis, peu à peu, un sentiment de colère et de révolte. Ces mêmes responsables politiques, à Paris, à Bordeaux, à Toulouse, à Nice, s’apprêtaient à fanfaronner. L’épreuve de l’Euro 2016 et du 14 juillet avait été couronnée de succès. Malgré les mises en garde de quelques fâcheuses cassandres, tout avait été maintenu sous contrôle hormis les violences d’une poignée de dégénérés russes et anglais.
Des citoyens, plutôt tranquilles comme l’auteur de ces lignes, avaient pu être contrôlés et fouillés une bonne soixantaine de fois depuis un mois pour pouvoir simplement accéder à leur domicile. Bien. Des quartiers entiers avaient été mis sous tension continue. Des véhicules déplacés au gré de décisions préfectorales parfaitement arbitraires et de dernière minute. Parfait. Si la sécurité de tous était à ce prix, après tout, pourquoi pas.
Il n’en demeurait pas moins que le maintien des rassemblements massifs comme ceux du Champ de Mars, à Paris, étaient des actes inconscients, irresponsables et aveugles. Comme l’étaient ces mots d’ordre selon lesquels il fallait ne pas avoir peur. Hier soir, à Nice, une centaine de femmes, d’enfants et d’hommes n’avaient pas peur … .
14 juillet, 13 heures. Un président de la République, toujours satisfait de lui et de son action, annonce la fin prochaine de l’état d’urgence. Mais de quel état d’urgence parle-t-il ? De celui qui autorise cinq cent mille personnes à se regrouper en un lieu unique et ouvert ? De celui qui s’interdit l’annulation d’un concert au nom de la liberté d’expression ou d’aller et venir ? De celui qui permet à une foule incontrôlée de faire chuter les coureurs du Tour de France ?

La France vient d’inventer l’état d’urgence light. Face pourtant à un ennemi résolu qui appelle à l’assassinat par tous moyens.
Ce matin, nous apprenons que l’état d’urgence, finalement, va être prolongé ou, plus exactement, reconduit. Fort bien. Mais selon quel mode à présent ? Allons-nous enfin nous décider à mener une guerre totale contre cet ennemi qui utilise les moyens modernes et désespérés de la guerre fanatique ? Allons-nous continuer d’opposer très chrétiennement nos valeurs républicaines aux appels aux meurtres ? Allons-nous poursuivre dans cette voie victimaire et sans issue et compter nos morts après coup ?
Tous ceux, détenteurs de pouvoirs locaux ou nationaux, qui ont en responsabilité la sécurité de leurs concitoyens, sont désormais face à ce défi. Se décider à porter le feu chez l’ennemi partout où il se trouve et user de tous les moyens technologiques modernes et diplomatiques à la disposition d’un Etat comme la France. Sans conférence de presse, sans compte-rendu, sans alerte préalable. S’astreindre à combattre par la ruse, l’espionnage, l’information, la coopération tant les actions commanditées que les initiatives prises par des cerveaux malades et qu’une idéologie moyen-âgeuse a empoisonnés.
Nice, hier, vient cruellement nous le rappeler. Il ne fallait pas oublier le 13 novembre. Nous sommes en guerre et ne pouvons vivre tout à fait normalement. Le temps de vaincre. Alors, même pas peur ? Moi si.
turcan@valauval.fr
Image: © AFP
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