Le Land rouge
- didier turcan
- 21 janv. 2017
- 4 min de lecture

Quand le port de Hambourg décide de faire un brin de toilette, cela donne HafenCity, un tout nouveau quartier proche du centre-ville, une succession d’îlots gagnés sur l’Elbe, un modèle d’urbanisation douce. Et si l’ancien quartier des docks, peu à peu, se métamorphose, la brique, elle, domine toujours le paysage construit, comme une référence incontournable, sublimée même par le verre et l’acier.
Les attraits touristiques nouveaux ou rénovés sont déjà bien étoffés dans ce morceau de ville ajouté. Les lieux de visite ou de promenade y abondent comme ces terrasses Magellan qui vibrent en permanence des spectacles de leur théâtre de rue ou des très exotiques cours de tango qu’on y donne l’été.

Mais le symbole sans véritable rival du quartier nouveau, est cette chère, très chère ElbPhilarmonie, bâtiment de verre en forme de navire, édifié à la proue d’un ancien entrepôt de tabac et de cacao, le Kaspeicher A, aux trois-quarts entouré par les eaux du fleuve. Un toit en forme de vague, un hôtel intégré, un escalator futuriste, des murs de gypse, des escaliers en bois, les concepteurs de l’édifice s’en sont donné à cœur joie pour cette réalisation qui fuit l’élitisme, désireuse, au contraire, de s’intégrer dans la ville. Déjà aimée, elle demeure pour le moment à l’état de promesse d’une irréprochable acoustique qu’aucun public n’a encore pu valider. Dans quelques temps toutefois, la longue attente des mélomanes de la ville-état sera récompensée.
Quand le maire de Hambourg décide d’installer une exposition internationale d’architecture IBA dans sa ville, il choisit le quartier délaissé de Wilhelmsburg, bien plus au sud, une zone réputée pour être la proie facile des crues de l’Elbe.
Rien de tel qu’un quartier à l’abandon pour stimuler la création. Construire en zone inondable dans cette portion de ville où cohabitent plus de quarante nationalités était un pari particulièrement audacieux. En ces lieux, Hambourg entend bien consolider sa réputation d’être une des villes les plus « multi-kulti » d’Europe.
Il est certes permis de n’être pas séduit par la qualité architecturale des nombreux bâtiments présentés. Mais l’esthétique passe ici au second plan. Les réalisations doivent être vues comme des accélérateurs de techniques, à mi-chemin entre le prototype et le produit fini. En cet endroit, la ville expérimente un nouvel urbanisme dans le louable objectif d’assurer l’indépendance énergétique du quartier tout entier.
Alors, de la Water House à l’Energie Bunker, le visiteur bouscule ses certitudes et prend toute la mesure de cet écoquartier longtemps déserté par le passé de la ville qui l’abrite mais soudain sollicité par le plus débridé des futurs.
HafenCity, Wilhelmsburg, Stadtpark, Blankenese, Hambourg est très loin de n’être que ce port toujours à l’ouvrage, un port pourtant presqu’aussi grand à lui seul que Paris.
Il est vrai qu’on imagine assez mal, songeant aux rives de cet estuaire, ces plages de vrai sable que surplombent de spacieuses villas bâties à flanc de coteau. Et pourtant, il faut voir, pour boire la lumière si caractéristique de cet endroit du nord de l’Europe qui s’est humblement autoproclamé la « Porte du monde ».
Il faut ressentir, une fois seulement, l’ambiance magique et inquiétante qui règne sur la terrasse de cette authentique pièce de musée toute de tuiles vernissées et de granit qu’est le Wasserschloss, aujourd’hui grand comptoir de thé et lieu de tous les rendez-vous.
Ou encore, plus à l’ouest sur le fleuve, dans le quartier d’Altona, passer au large du Dockland, un bien insolite immeuble en biseau qui fait entrevoir un instant aux visiteurs le très illusoire espoir de contempler l’Elbe à plat ventre.

A Hambourg, les curiosités se succèdent sans réelle cohérence. La marque des villes qui bougent.
A l’est du quartier, l’Oberhafen-Kantine occupe un improbable emplacement sous la voie ferrée. En fin de journée, quand l’heure est blonde, le vin est blanc. Il se boit accompagné d’une brioche aux crevettes ou d’un croissant jambon-fromage. Le moment est bien choisi de parler des dernières trouvailles fiscales du maire-adjoint de la ville en charge des finances comme cette taxe « sur la lumière bleue » qui vise à sanctionner d’une amende conséquente tout appel passé à la police en cas d’accident de la circulation sans gravité. Ou encore de ce projet d’implanter, comme à Cologne, des horodateurs pour prostituées au cœur des rues les plus chaudes… .
Etre la deuxième ville d’Allemagne et se permettre quelques fantaisies… .
A l’issue d’un seul séjour dans cette ville en éventail, le constat s’impose, la « ville libre et hanséatique de Hambourg » est résolument avant-gardiste même à vouloir n’en retenir, pour la photo, que l’ocre rouge des anciens entrepôts de la Speicherstadt ou des maisons de marchands du canal Nikolaifleet. Hambourg s’honore de ses contrastes. Ecoute bien. D’une jetée à l’autre, à certaines heures de la nuit, le vent ne souffle pas, il grogne. C’est le chant des pontons. Entre une rivière en forme de lac et un fleuve qui s’élance pour le grand saut dans la Mer du nord, Hambourg, la ville-land, a tout d’une île.
turcan@valauval.fr
Image: © Stefanie Baars
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