Cyberdance à Beer-Sheva
- didier turcan
- 1 août 2016
- 3 min de lecture

Il y a bien longtemps déjà, David a fait un rêve.
« Notre principal défi sera de conquérir, par notre science et comme les pionniers que nous sommes, les immenses espaces sauvages du Néguev ».
Dans cette région du monde, le désert n’a jamais constitué un obstacle au développement. Et le complexe ultramoderne « CyberSpark » qui s’érige dans les faubourgs de Beer-Sheva n’a rien d’un mirage. Des sables de ce triangle inversé qui plonge vers la Mer Rouge surgit tranquillement une techno-ville qui ambitionne de devenir assez vite l’un des pôles mondiaux de sécurité informatique et de cyberdéfense.
Le progrès technologique devient redoutable dès lors que la guerre s’en empare. Si les lignes de front sont virtuelles, la menace, elle, est bien réelle. Ici, à Beer-Sheva, moyens publics et privés s’unissent pour faire éclore celle que l’on appelle déjà la Silicon Néguev. Un signe, révélateur de l’intérêt que le projet suscite, Cisco, Thales, Deutsche Telekom, IBM, les plus prestigieuses signatures, sont déjà sur place.
Par cet ambitieux programme, Beer-Sheva devient ainsi une promesse tangible de peuplement accru du Néguev. Regroupés dans des bases modernes et autosuffisantes, plusieurs dizaines de milliers de militaires vont bientôt côtoyer des ingénieurs de leur âge, issus des écoles appliquées du monde entier, férus d’algorithmes et traqueurs de virus. Tous veulent être impliqués dans l’aventure qui s’annonce. Un gros coup de jeune en perspective pour la ville biblique.
Miraculeusement, les financements ont été trouvés pour réhabiliter les quartiers de la vieille ville. Les travaux étaient attendus depuis longtemps. Le discours politique local vante à présent l’essor de l’offre culturelle de Beer-Sheva et les échanges s’ intensifient à l’international avec les villes jumelées comme Lyon, Seattle ou La Plata. Il faut se rendre à l’évidence, la ville poussiéreuse à portée de roquettes que Tel-Aviv toise et méprise à l’envi prend enfin le train de l’expansion. Cet ancien maire de la ville, connu pour ses faux-airs d’Aznavour, l’avait bien dit et prophétisé : « Nous allons tirer si haut l’économie de la région que les gens de la côte ne verront bientôt plus nos cîmes ».
Nous sommes le 8 mars 2015. Une conférence est donnée à l’Université Ben Gourion du Néguev. Un étudiant interpelle l’orateur, un célèbre chorégraphe revenu au pays, après un long exil, pour y diriger une troupe que s’arrachent à présent les plus grandes scènes internationales.
« A la fin de sa vie, Pina Bausch s’est inspirée de grandes villes d’Europe pour imaginer des ballets sensés en restituer les ambiances majeures. A son tour, le destin de notre ville en sa renaissance prochaine pourrait-il nourrir votre imagination ? Après tout, Beer-Sheva vaut bien une danse, non ? ».
La question avait fait sourire, puis réfléchir l’artiste. Une œuvre était née moins d’un an après dans le sillon tracé par l’illustre papesse du Tanztheater Wuppertal. Et c’est naturellement au Performing Arts Center du Rager Boulevard qu’eurent lieu les premières représentations.
Rarement la ville avait compté, en ses murs, autant de personnalités du monde des arts. Toutes étaient animées du même enthousiasme et par la même impatience de découvrir cet opus chorégraphique annoncé comme « évolutionnaire ». Une parade à la fois débridée et mécanique leur était réservée où chaque danseur jouait seul une partition que prolongeait celle d’un autre. Le maître de ballet l’avait toujours affirmé : « Il est capital d’être honnête. N’accomplir aucun mouvement qui ne soit intensément ressenti ». Et pour l’harmonie, souriait-il : « s’en remettre aux muses protectrices ».
En ce lendemain de Tou Bichvat, il livrait là, sur une composition musicale mariant rock’n’roll et mélodies hassidiques, un audacieux alliage d’énergie et de technique, le tout premier specimen de danse cybergaga. Le ballet comptait neuf tableaux de gestuelle saccadée, de mouvements exaltés, exécutés autour de deux vastes écrans suspendus qui projetaient des images fixes et mobiles superposées, des javascripts, des formules mathématiques et des figures fractales. L’ultime prouesse, comme une allégorie un peu forcée, proposait une composition de corps enchevêtrés reproduisant le monument à la Vie, œuvre de béton brut de Dani Karavan qui émerge du sable - ou s’y enfonce – tout près d’ici.
Ce soir-là, au cœur du désert, bien davantage qu’un ballet, était offert un spectacle d’art total. La troupe semblait s’être surpassée, le thème l’avait inspirée. L’ensemble avait conquis un public surpris, décontenancé mais ravi.
La danse est le plus audible des langages. Elle venait de rendre hommage à une aventure sans conquête qui s’accomplissait sans léser quiconque ni rien prendre à personne. Elle achevait de célébrer la fierté nouvelle du pays tout entier, une fierté partagée ……… depuis « Dan jusqu’à Beer-Sheva ».
turcan@valauval.fr
Image: © CyberSpark
Commentaires