Des prévôts et des rois
- didier turcan
- 31 août 2016
- 4 min de lecture

Lettre écrite à Henri IV par François Miron – le Père du peuple – prévôt des marchands de Paris, pour s’opposer à un projet visant à édifier près de la place des Vosges un quartier nouveau pour y loger les artisans et ouvriers d’un projet industriel de production de la soie avec, pour contrepartie, leur expulsion préalable d’un quartier en cours d’embourgeoisement :
- C’est une pernicieuse idée de bastir des quartiers à usage exclusif d’artisans et d’ouvriers…. . Il ne faut pas, Cher Syre, que les petits soient d’un côté, et les gros dodus de l’autre. C’est beaucoup mieux et sûrement quand tout est mélangé. Les quartiers pôvres deviendraient des citadelles qui provoqueraient vos quartiers riches… . Il pourrait se faire que des balles vinssent ricocher sur votre couronne.
Réponse d’Henri IV :
- Compère, vous estes vif comme un hanneton… . On fera vos volontés… Je vous attends à souper et je vous embrasse.
Nous sommes en 1605, le dix-septième siècle naissait à peine.
Ce court échange démontre que la mixité sociale, le vivre ensemble comme on dit à présent, n’est pas vraiment une question nouvelle qui serait née dans les grandes villes contemporaines. Le thème est récurrent. Il a toujours agité les responsables politiques, tour à tour au pouvoir ou dans l’opposition.
2016. Le débat est aujourd’hui moins élégant. Il y a beaucoup moins de logements sociaux dans le septième arrondissement de Paris que dans le dix-neuvième. C’est un fait incontestable. Alors, le maire-adjoint communiste en charge du logement, place de Grève, le proclame : « Fini les ghettos de riches ». Et de poursuivre dans la teinte pastel : « Il n’y a aucune raison pour que certains quartiers de Paris soient réservés aux gens qui paient l’ISF ». Dur, dur, d’entamer un dialogue sur de telles bases. D’un coté, on parle de « rééquilibrage », comme si l’équilibre (le nivellement ?) avait quelque vertu démontrée ; de l’autre côté, on cherche à se préserver des dérives du « marxisme municipal ». Sans doute, cette dernière expression, injurieuse assurément, est-elle excessive. Mais n’est-elle pas, après tout, que la réponse inconsciemment sollicitée par ceux qui font encore de la lutte des classes une inaltérable ligne de pensée et de conduite ?
Imposer la mixité sociale aux forceps : c’est la volonté clairement exprimée par l’actuelle municipalité parisienne et le programme parait faire jubiler l’intéressé. Manifestement, cet adjoint est en guerre. Pas sûr qu’Henri IV l’aurait invité à dîner. Son projet immédiat : porter le fer (sic) dans les arrondissements chics de la capitale pour y produire massivement du logement social. Cette politique semble avoir vingt trains de retard. D’abord, et si l’on accepte de n’en pas faire un cheval de Troie, la mixité sociale est une idée qui a fait un petit bout de chemin depuis Sully. Sa mise en œuvre n’est plus un événement. Elle n’a pas à être agréée puisqu’elle n’est même plus discutée. Ensuite, dans le Grand Paris qui s’annonce, les différences seront bientôt relatives entre le vingtième et le seizième arrondissement où tous deux seront considérés comme des quartiers centraux. L’Histoire va vite et la forme d’une ville change plus vite que le cœur d’un mortel.
Cette politique de l’entrisme est en outre fort coûteuse. La municipalité de Paris pourrait construire bien plus de logement sociaux si elle ne ciblait pas obstinément les quartiers où les prix du foncier et de l’immobilier sont particulièrement élevés. La réponse de l’adjoint au logement à cette remarque est édifiante et révélatrice : « Paris ne manque pas d’argent. Et nous assumons clairement l’objectif politique de rééquilibrage. Il n’y aura pas deux Paris, même si cela coûte cher ». En parlant d’argent, il reste à suggérer à l’édile de jouer avec le sien. Le conseil est primaire, sans doute, voire réactionnaire mais la réponse, elle, révèle clairement que la démarche est bien politique et non sociale. Au passage, on se félicitera que Paris soit si riche.
C’est donc avec « détermination » et disposée au « bras de fer » que l’équipe municipale entend poursuivre son œuvre. En toute conviction. L’autocritique étant une marque honteuse de déviance intellectuelle, elle ne saurait être le fait des gardiens de la doctrine. La foi, la vraie, celle qui n’a nul besoin d’un dieu, n’admet pas le doute. Avec la transformation récente d’une église gallicane, aux confins du quinzième et du septième arrondissements, en logements sociaux, le maire-adjoint atteint le Graal et fait d’une pierre deux coups. Pour un peu, il se convertirait.
Non, décidément, l’idée qu’il puisse exister des morceaux de ville, comme c’est le cas seulement, accessibles aux gens plus riches que d’autres est insupportable. Lutter contre elle est la marque d’un pouvoir fort et convaincu de son bon droit.
On n’a jamais vu, de mémoire de parisien, une municipalité stigmatiser à ce point une partie de ses administrés. Les parisiens un peu, beaucoup ou passionnément fortunés doivent expier. Ils doivent se rappeler qu’ils ne sont que tolérés dans une ville qui concevrait fort bien de faire entrer Louise Michel au Panthéon. Tiens, puisqu’on en parle. François Miron a consacré, à la fin de sa vie, une partie de sa fortune au financement des travaux de l’Hôtel de ville de Paris. Lequel sera dévasté par l’incendie de 1871, sous la Commune et sur l’ordre de la pasionaria. Certes, c’est l’Histoire qui s’accomplit mais qui oublie de nous dire si le souper était bon.
turcan@valauval.fr
Image: Leandro Erich, MONTE-MEUBLES. L'ULTIME DÉMÉNAGEMENT (2012) Le Voyage à Nantes 2012, Nantes, France Ph: Martin Argyroglo
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