top of page
Rechercher

Les rues d'Elseneur

  • didier turcan
  • 10 juil. 2017
  • 4 min de lecture

Quand Monsieur S, dramaturge, a jeté son dévolu sur le château de Kronborg tout proche, cette petite ville de la Baltique ne pouvait imaginer qu’on en parlerait encore plus de quatre cents ans plus tard.

Pour avoir été choisi comme cadre de la plus célèbre tragédie de tous les temps ce château, bien loin d’être le plus beau du pays, attire chaque année un flot constant de ces visiteurs qui prennent pour argent comptant toutes les histoires qu’on leur raconte. Et malgré les mises en garde, ils sont là, sur la terrasse principale, à guetter qu’un fantôme surgisse d’entre les canons. La beauté du lieu n’y pourra rien, ils repartiront déçus.

Helsingor, pardon, Elseneur, sur les bords de la riviera danoise.

C’est une ville essentiellement piétonne faite de maisons à pignon, de maisons de brique, de maisons à colombage plusieurs fois centenaires. Une ancienne bourgade qui ne demandait rien à personne, striée de ruelles et de venelles placides, une ville lestée d’imaginaire et de légende, hantée encore par le spectre de quelque vieille âme corrompue. Bref, une ville victime de la littérature.

Stengade, la rue est longue, les commerces se font rares à l’approche du port. Il y règne une atmosphère sereine. Un ancien maire disait d’elle qu’elle était le sourire de la ville. Avec ses guirlandes fanions aux couleurs nationales et son joyeux désordre, elle aurait inspiré Renoir. Sans doute n’est-ce qu’une impression mais ici les tags et les graffitis, marques d’identité et de rébellion désormais intégrés au paysage urbain universel, paraissent moins violents, moins agressifs qu’ailleurs. Une singularité propre à rendre l’âme et l’humeur disponibles. Stengade compte parmi ces rues qui favorisent l’expérience de sérendipité, bien connue de tout promeneur qui est là, à flâner tranquille en quête d’un objet futile, d’un vêtement ou d’un souvenir banal et qui découvre soudain quelque chose d’inattendu dont il se convainc très vite qu’il ne pourra plus vivre sans. L’Erotic Shop locale, bien en évidence, fait l’angle avec Sostraede, une voie étroite qui sert de parking à vélos, au grand dépit de ses riverains. La boutique, qui jouit d’une double exposition, attire une clientèle toute ordinaire, venue là s’informer des nouveautés proposées, entre le pain et le journal.

Encore quelques pas pour y arriver, il reste une place à la terrasse du Kayser, un joli nom pour un café.

Le Musée municipal – le Bymuseet – au 36 de Sankt Anna Gade a peut-être des faux airs de prison mais dans cette rue résidentielle, c’est la fête aux couleurs. Les maisons sagement alignées resplendissent dans leurs teintes vert pomme, orange, bleu clair, jaune paille ou ocre. Et si toutes ces couleurs semblent n’avoir aucun destin commun, elles cohabitent pourtant dans une harmonie d’une implacable évidence. Rien ne choque sur la palette et c’est en vain qu’on chercherait une faute de goût. Ici, le miracle chaque fois s’accomplit comme une manière d’hommage rendu à l’audace de l’artiste. Certaines maisons de cette rue sont connues et réputées pour leur pratique régulière du hygge, cette philosophie des pays froids qui préconise aussi souvent que possible le partage d’intimité en un décor chaleureux et qui invite à la détente et au cocooning. Ils sont nombreux dans la ville à venir ici prendre soin d’eux-mêmes et se conforter dans l’idée que la peur de vivre n’est pas danoise.

Par certains aspects, Strandgade est une rue qui semble factice. Elle donne au promeneur le sentiment d’évoluer dans un décor de cinéma. Très prisée des cinéastes, elle retient aussi régulièrement l’attention des auteurs de bandes dessinées qui la représentent le plus souvent peuplée de trolls rigolards. Selon les récits populaires locaux, elle est la plus ancienne rue de la ville. Elle se parcourt lentement depuis la célèbre maison rouge jusqu’à l’austère bâtiment des douanes au détour duquel se déploie un surprenant marché aux fleurs qui empiète chaque année un peu plus sur le parking voisin. L’hôtel Madam Sprunck est subtilement situé, au croisement avec Bramstraede. Il a bâti sa notoriété sur un style indécis qui emprunte à différentes époques. Chaque élément de son mobilier paraît devoir sa présence à un coup de cœur ressenti lors d’une vente aux enchères ou d’une brocante, sans dessein ferme préalable. A l’entrée de l’hôtel, le programme grand format des festivités du mois s’offre bien en évidence, posé sur un lutrin. Il annonce la première représentation du concert que la très jazzie Sasha Masakowski se propose de donner dans la cathédrale luthérienne Sankt-Olaf. A deux pas.

Là. Presque exactement là où le détroit est à ce point ténu qu’un pas de géant suffit pour se retrouver en Royaume de Suède.

Au Centre culturel, le Kulturvaerftet, se poursuivent les représentations de la pièce « Dans les rues d’Elseneur », œuvre contemporaine d’un auteur slovaque, donnée pour la première fois au Théatre Phönix de Brême. Au terme d’une tournée en Europe, l’intrigue qui se noue dans le quartier Axeltorvet, a rencontré un franc succès qui ne faiblit pas. Par la grâce du bouche à oreille, le public à présent afflue de Göteborg et de Copenhague attiré par le récit des passions complexes entre un monarque et ses sujets. Une chronique désenchantée qui conte le fol enthousiasme d’un peuple pour un jeune apprenti-tyran, puis son accablement devant les reniements annoncés. Une allégorie à peine vraisemblable où la haine injustifiée succède à l’amour irraisonné. Bref, une histoire d’hommes, simplement, vieille comme le monde, intemporelle.

turcan@valauval.fr

Image: Kunst & Byrum’s project

Comments


© 2016 by valauval

bottom of page