Comme de mauvaises ondes...
- didier turcan
- 24 oct. 2016
- 3 min de lecture

Depuis quelques années, les actions engagées par des particuliers, agissant ou non dans le cadre d’associations, et vivant à proximité d’antennes-relais de téléphonie mobile, contre les opérateurs propriétaires de ces antennes, se sont multipliées.
Soucieux, de manière légitime, de leur santé, ils s’inquiètent des ondes électromagnétiques émises par les antennes et réclament leur démantèlement ou s’opposent à de nouvelles installations. Motifs invoqués : l’existence d’un trouble anormal de voisinage et, de plus en plus fréquemment, le fameux principe de précaution. Mais ni la dangerosité ni l’innocuité des antennes-relais pour la santé humaine n’est à ce jour clairement établie, malgré les nombreuses études scientifiques diligentées. Sont ici visés les effets non-thermiques et à long terme des ondes électromagnétiques émises. Les rapports dont se prévalent tant les opposants à ces antennes que les opérateurs de téléphonie concluent soit à l’absence de preuve scientifique de la dangerosité de cette exposition ou, plus subtil, à l’absence de preuve scientifique de l’innocuité de celle-ci.
Cette incertitude a conduit les opposants, voisins ou relais d’opinions, à invoquer l’application du principe de précaution affirmé par l’article 5 de la Charte de l’environnement et par l’article L.110-1 du Code de l’environnement. On le sait, en vertu de ce principe, l’absence de certitudes scientifiques et techniques du moment ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable.
De la protection de l’environnement, le principe aurait ainsi vocation à s’appliquer dans des domaines concernant la santé. Sur la question, fatalement, la jurisprudence est discordante. Une partie des décisions rendues estime que le principe de précaution est censé avoir été suffisamment pris en compte lors de l’établissement des normes fixant les niveaux d’exposition. Elle exclut en conséquence l’existence d’un risque pour la santé des populations vivant à proximité des antennes-relais respectant ces normes et donc tout trouble anormal de voisinage.
L’hostilité à l’égard du principe de précaution est assez marquée de la part de ce premier courant de jurisprudence. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance d’Avignon a-t-il pu estimer que le principe de précaution est une « notion dont l’écho médiatique est inversement proportionnel à la consistance juridique » ; son application conduirait à rejeter la mise en oeuvre de toute avancée technologique qui n’aurait pas fait preuve de son innocuité. Le juge serait ainsi conduit à contrôler et définir les limites de la science, mission que ne lui confère pas la loi.
Un second courant de décisions considère en revanche que le respect des seuils d’émission (supérieurs en France à ceux prescrits par d’autres pays européens) par les opérateurs, la licéité de leur activité et leur utilité pour la collectivité ne suffisent pas à eux seuls à écarter l’éventualité d’un trouble anormal de voisinage. Pour les magistrats appartenant à ce courant, l’incertitude sur l’innocuité pour la santé d’une exposition aux ondes émises par les antennes-relais est sérieuse même si la réalisation du risque reste hypothétique.
On le voit, le flou juridique, logiquement, suit l’incertitude scientifique. Laquelle ne sera jamais levée avant longtemps sauf incident redouté. Et entre les experts le ton monte, les uns et les autres se reprochant des postures douteuses, partiales ou sectaires. Il faudra davantage qu’un rapport de plus pour avancer. Et de nombreuses rencontres à la clé entre sachants. Afin qu’entre eux, au moins, se dissipent les mauvaises ondes.
turcan@valauval.fr
Image: © Nickolay Lamm - http://nickolaylamm.com
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