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Un jour, La Ciotat

  • didier turcan
  • 27 août 2016
  • 4 min de lecture

- En terme de port, bon, d’accord, on a peut-être vu mieux. Ici, vous n’êtes pas à Cannes ou à Monaco mais à La Ciotat. Une ville qu’on a comparé au Sahara, il y a quelques années, tant l’activité s’y faisait rare. Tout en nuance, comme on sait faire ici. Et puis, voyez, aujourd’hui les clients se bousculent. Et nous, on prospère.

Rencontrer un commerçant heureux constitue toujours un moment privilégié et rare. Le restaurant, situé rue des Poilus, proposait une cuisine provençale intransigeante avec une prédilection particulière pour la broufade, les pieds paquets, la poutine et le raïto de morue.

Le lieu avait fermé ses portes pendant près de trois ans. Un changement d’exploitant, un design repensé qui s’était effrontément dispensé des talents multiples de Philippe Starck, une clientèle rajeunie, avaient permis de le propulser dans une seconde vie. Il évoluait à présent dans un environnement revigoré qu’il contribuait à rendre chaque jour plus attractif. Les artistes et les comédiens venaient y dîner après chaque spectacle donné à la Halle de la Chaudronnerie, le nouvel espace de l’avenue Maurice Sandral. Grisés par la subtile étreinte du marc de Garlaban , ils s’interpellaient, ils se provoquaient du verbe et jouaient les prolongations dans le fumet des aïolis pour le plus grand bonheur de clients noctambules, chanceux et ravis.

A deux rues de là, rescapé de très pittoresques et très locales péripéties, un hôtel 4 étoiles avait enfin pu accueillir ses premiers clients. Parmi eux, le propriétaire roumain d’un luxueux yacht trois ponts qui venait d’être acheminé depuis Gênes jusqu’à la forme de radoub de Monaco Marine pour un refit intégral. La mise à sec, prévue pour le lendemain, laissait largement le temps de découvrir incognito à quoi ressemblait cette petite ville coincée entre Marseille et Toulon, bien plus connues à Lipscani, le quartier chic de Bucarest. L’équipage du bateau pris en charge avait joué un rôle décisif dans le choix du chantier naval. La campagne de promotion « Refit in La Ciotat » lancée par la région et la ville dans les capitales des pays riverains de la Méditerranée et de la Mer Noire avait suscité de nouvelles commandes qui avaient saturé le site pour plusieurs mois.

- Vous vous rendez compte, poursuit l’aubergiste des temps nouveaux, obligés que nous sommes d’envoyer des clients aux italiens et aux catalans !

Il est presque minuit. Le robusto cohiba oublié entre les doigts marque le temps futile des vacances. La promenade se fait jusqu’au bout du premier quai. Au-delà, l’accès est interdit. Les bruits confus des terrasses se sont estompés. La brise de terre s’est levée, elle achève d’emporter au large les derniers échos de la plainte des aciers déchirés qui s’élevait autrefois des chantiers de la Normed. Un bref instant, dans la perspective, grues et portiques dessinent sur fond de nuage comme la proue inversée d’un cargo. Ce n’est rien. C’est le Gigondas qui produit son effet.

Aujourd’hui, les cris laborieux des chantiers sont plus feutrés, moins stridents, plus élégants même. Le travail des matériaux composites est plus discret. Et puis la sueur des chaudronniers, soudeurs, bourreliers et autres découpeurs coule désormais au profit de la seule grande plaisance. Présentée comme une clinique pour joyaux des mers ou spécialisée dans la haute couture maritime, La Ciotat s’est fait une spécialité de l’entretien des yachts et méga-yachts, un marché florissant. En dix ans, la ville s’est hissée au plus haut niveau mondial pour la remise en état de ces signes extérieurs et flottants d’une évidente richesse. Les compétences proposées ici s’ancrent dans un savoir-faire historique qui plait aux grandes fortunes et les rassure.

Avec ses faux airs de Saint-Tropez, le port-vieux de La Ciotat, bien à l’abri des vents dominants, se prépare tranquillement à assumer en patriarche le prestige des cités qui ont quelque chose à dire. Le chemin est bien singulier parcouru depuis sa période noire par cette ville lassée d’être seulement le lieu de naissance de la pétanque et du cinéma et qui a échappé de peu, après la tempête, au destin banal des marinas façon Bofill. La ville a de nombreux atouts dont cette particularité d’offrir trois ports en un : port de refit, port de pêche, port de plaisance. Trois pétales d’une fleur qui s’ouvre et s’offre à la Méditerranée.

Jusqu’à présent, La Ciotat était surtout connue pour entretenir une stricte relation de travail avec la mer. Elle peut nourrir sans complexe aujourd’hui de très légitimes ambitions, il lui faut seulement prendre un peu plus confiance en elle. Du tourisme industriel à celui d’agrément en passant par le tourisme d’affaires, rien ne lui est interdit, il lui reste à se forger une culture de l’accueil et du service pour la plus grande satisfaction de ses nouveaux visiteurs. Ainsi, sous le ciel intense qui illumine les roches rouges de ses calanques, un jour, La Ciotat apprendra à s’aimer davantage.

- Dites, avant de partir, laissez-moi vous offrir ce petit pot de couille du pape. Vous m’en direz des nouvelles. Et puis, vous qui voulez donner des ailes à notre ville, ça vous aidera quand même à rester un peu dans le ton.

turcan@valauval.fr

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