Saint-Etienne, meetings en mode design
- didier turcan
- 13 mai 2013
- 4 min de lecture

C’est en montant les marches de l’escalier du Crêt-de-Roc qu’il décida de préconiser sans réserve ce projet d’implantation du premier Peninsula dans la région. Le soir même, il rédigea son rapport et l’expédia par message électronique à la direction du développement et des investissements internationaux de la chaine.
Depuis trois ans, il était venu à plusieurs reprises à Saint-Etienne pour y jouer les éclaireurs, comme il disait, ressentir l’ambiance de cette ville et tenter d’en comprendre la stratégie. Sceptique au départ, il fut assez vite convaincu de l’intérêt d’en faire l’un des points de chute européens de la firme hôtelière asiatique et conquérante qu’il représentait.
Il fallait une unité prestigieuse de 180 à 220 chambres qui manquait tout à fait en Rhône-Alpes. Les investissements réalisés au cours de la dernière décennie dans cette ville du Forez pour entrer dans le 21e siècle étaient arrivés à maturité. Les relais devaient être pris désormais pour doter Saint-Etienne d’une infrastructure hôtelière à la mesure de ses ambitions. Il serait le premier de sa catégorie à relever le défi et à présent, il convenait d’aller vite.
A l’occasion de sa précédente visite à Saint-Etienne, il avait pu assister à ce workshop national organisé à la Cité du design par un collège d’aménageurs et d’urbanistes, à l’initiative des autorités de la Métropole et de divers partenaires privés. Les débats y étaient articulés autour des nombreux projets locaux ayant choisi de jouer la transformation urbaine comme levier de reconquête économique. Comme d’habitude, le consensus se fit sur la difficulté d’avoir raison en urbanisme. Mais le parcours dans la ville programmé l’après-midi devait laisser perplexes les congressistes.
Les salons de rue avaient depuis quelques temps déjà fait leur apparition. Audacieux, ils tranchaient à peine malgré le fuchsia ou l’indigo de leur revêtement plastique avec les équipements urbains traditionnels, beaucoup plus sages. Ils avaient été immédiatement adoptés par les habitants et, de l’avis unanime, généraient comme une forme de convivialité nouvelle. Les poubelles coniques intelligentes « urban drop » avaient été récemment installées. Elles avaient des allures de mini comptoirs. Dotées d’un système de fermeture vigipirate, écologiques, équipées de panneaux solaires réfléchissants, d’un système automatique de tri des déchets et d’un distributeur de sacs papier, elles préfiguraient un modèle élégant et futuriste de gestion de la propreté et de l’hygiène en ville. Comme beaucoup de villes, Saint-Etienne avait redécouvert le tramway. Mais le sien n’était ni bleu, ni rouge, ni vert. Par un ingénieux système de réverbération, il empruntait la couleur dominante, les motifs et les reliefs des quartiers traversés. Une représentation fluide de la ville, en quelque sorte. Une curiosité déjà copiée à l’étranger. Hasard du calendrier, la journée avait été décrétée « monochromatique » dans le cadre des Transurbaines, projet artistique et culturel désormais récurrent qui suggérait à la cité de se mettre en scène. C’est toute la ville qui fut ce jour-là invitée à se parer de jaune.
A son retour sur les rives du Furan, la huitième édition de la Biennale Internationale du Design battait son plein .Un an plus tôt, Saint-Etienne avait été distinguée comme « ville créative UNESCO de design », rejoignant ainsi le cercle très fermé de villes comme Berlin, Montréal, Nagoya, Shanghai ou Graz, entre autres. La Platine était devenue le nouveau flagship de l’ancienne cité minière. Des couples de chevaux bleus surmontaient les abribus. L’art s’emparait de la rue. Les commerçants du centre-ville avaient relooké leurs enseignes et leurs espaces. Des concept-stores d’un genre nouveau avaient ouvert leurs portes.
Elsa, directrice de la Biennale, parlait vite et avec enthousiasme. Dans son discours d’ouverture et de bienvenue, lors de l’inauguration de l’événement au Centre de Congrès, elle avait insisté sur la volonté des organisateurs d’instaurer un véritable dialogue entre les créateurs, d’un côté, les usagers et les entreprises de l’autre. De la constitution d’une bibliothèque des matériaux aux dernières avancées du design numérique, en passant par les audaces écoconceptuelles des jeunes designers, les sujets ne manquaient pas. Le design était appelé à devenir un mode de connaissance et de reconnaissance.
Le Forum de l’innovation, dédié aux entreprises, se chargea de rappeler comment la démarche créative pouvait être un formidable vecteur de médiation entre les acteurs économiques et sociaux. Plusieurs expositions, conférences, ateliers et événements étaient dans ce cadre consacrés au thème de l’open-innovation et de la co-création, qui donnait matière à quantité d’ offres corporate concrètes. L’initiative séduisit des entreprises venues d’horizons très divers. Elle anticipait la tenue des futures Assises du design appelées à se tenir dans cette ville désormais dotée du statut de laboratoire de l’innovation partagée. Dans cette perspective et dans l’intervalle, Saint-Etienne Métropole conçut l’idée de la campagne européenne « Meetings en mode design », histoire de rappeler sa volonté de s’imposer comme ville MICE. Un label qui mériterait bien, enfin, une consécration internationale et qui irait au-delà de la simple revendication extatique de ville créative.
Parti de la Place Jean Jaurès, il descendit la rue de la Résistance et tourna rue Sainte Catherine. Il en était convaincu, Saint-Etienne allait bouger parce qu’elle osait. Elle osait ne pas se lancer dans une course éperdue aux armements culturels qui, pour nombre de villes en recherche d’identité, tenait davantage d’une posture aux confins de l’alibi et de l’usurpation. Elle osait en revanche revendiquer un passé industrieux mais sans ostentation. Et elle osait surtout s’inscrire dans le présent économique par l’appel à l’innovation créatrice et à l’échange d’expériences. En un mot, elle osait entreprendre en proposant à tous un débat permanent, toute ville ouverte.
turcan@covos.fr
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