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Les larmes du Congo

  • didier turcan
  • 12 mars 2014
  • 3 min de lecture

Troisième prise, le regard n’est pas même humide. Rien ne coule sur cette joue sèche et brun-dorée.

- Coupez ! Excusez-moi, dit Hélène, reporter. Il faut que le télé-spectateur français soit convaincu et soit ému en vous écoutant. Et là …. .

- Vous ne me croyez pas, dit Polly, originaire de Butembo dans le Nord-Kivu. Puis, dans un sourire : et pourtant, c’est vrai vous savez.

- Non, ne souriez pas s’il vous plait, dit Hélène, enfin, pas quand on tourne. Et s’adressant au cameraman : c’est compliqué, on va pas y arriver. Bon, on la refait une dernière fois et on arrête.

Et la jeune congolaise de raconter, à nouveau, son viol collectif. Puis de détailler les sévices endurés. Il y a huit mois de cela, elle a subi toutes les souffrances imaginables plus toutes celles qui ne le sont pas. Elle en fait un récit presque banal sur un ton monocorde et sans émotion. Elle ne porte même aucun jugement sur ses tortionnaires, bêtes à deux jambes qui écument la région-est de ce pays dévastée par une guerre civile qui n’intéresse pas vraiment la communauté internationale.

Sur ce territoire au nord des Grands Lacs, le corps des femmes est devenu une arme, une prise de guerre. Les tortures sont infligées au cours d’un spectacle public auquel sont conviés grands-parents, parents et enfants des victimes. Pour la postérité du geste, pour l’exemple et la mémoire. Un jour la guerre s’arrêtera faute peut-être de proies faciles mais le souvenir, lui, restera. C’est le but recherché. Et atteint. Les marques corporelles et psychologiques seront indélébiles.

Il a le don des larmes, disait Michelet de Saint-Dominique. Polly, elle, n’a pas ce don. Elle ne propose que son corps meurtri à jamais et qu’elle dévoile bien volontiers pour emporter la compassion juste avant peut-être, enfin, la révolte et la délivrance.

13 février. Hôpital de Panzi, Sud-Kivu. La conférence de presse du Docteur Denis Mukwege touche à sa fin.

- Hélène C. , du Soir, Bruxelles. Docteur, on vous prête les plus hautes ambitions politiques. 2015 sera une année électorale au Congo. Vous présenterez-vous ?

- Madame, depuis quinze ans je me suis efforcé de soigner plus de trente mille femmes victimes de violences sexuelles dont vous ne soupçonnez pas la sauvagerie. Mais j’ai conscience de ne m’attaquer là qu’aux conséquences hideuses d’une guerre qui a pour origine et pour fin ultime l’appropriation du coltan, de la cassitérite, de l’étain et de l’or qui sont la richesse du sous-sol du Congo oriental. Il faudra bien, un jour, s’occuper des causes de ces exactions chroniques. Mais je pense qu’à lui seul le gouvernement de Kinshasa en est bien incapable.

18 février. Locaux de l’Ecole Belge de Goma, au nord du Lac Kivu. Sous la présidence de Bernadette Ntumba, le Bureau de l’Association des mamans chrétiennes pour l’assistance aux vulnérables (AMCAV) met la dernière main à sa pétition qu’elle destine au Secrétariat Général des Nations Unies. Combien de rapports officiels seront-ils encore nécessaires, combien d’observateurs devront-ils être encore dépêchés pour décider les autorités internationales d’intervenir ? Les écrits sont-ils encore utiles qui ont épuisé tout le vocabulaire de l’horreur pour décrire une situation dont le monde entier est désormais parfaitement informé ? Certes, on dispose bien de ces nombreux forums, censés être des relais, qui se succèdent dans le but « d’ajuster les degrés du curseur à partir desquels on peut objectivement parler de génocide » (en swahili dans le texte). Où il se trouve toujours un spécialiste pour déplorer l’absence d’homogénéité des massacres. Ce qui interdit scientifiquement de solliciter les concepts alarmants. Mais pour le reste, sur le terrain, du sang et rien d’autre.

Où sont-elles les larmes du Congo ? Le sang, lui, on le voit. Il est partout. C’est un flux qu’on ne maîtrise pas et qui se répand à la première lésion. Les larmes, non. Pleurer est culturel. On ne passera pas l’interview de Polly à l’antenne.

turcan@covos.fr

Panzi Hospital – Program manager – susanne.allden@gmail.com - +243819092158 -

 
 
 

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