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Macao, le retour

  • didier turcan
  • 28 avr. 2014
  • 3 min de lecture

Lorsque j’y suis venu pour la première fois, c’était en 1945 et j’avais déjà bien vécu. L’Europe fêtait la fin de la guerre et Macao venait d’être distinguée comme « ville la plus dépravée au monde ». Sans doute la vraie raison de ma présence en ses murs. J’achevais alors une carrière d’écrivain raté mais j’y retrouvais là des amis prestigieux dans les bars du quartier Saint-Lazare ou de la rue du Cinq-Octobre.

Joseph Kessel y puisait son inspiration dans une ambiance faite d’exotisme oriental et de nonchalance méditerranéenne, une improbable rencontre qui, disait-il, l’envoûtait. Ian Fleming y peaufinait les contours du personnage de l’agent secret légendaire qu’il allait créer quelques années plus tard. Macao, ex-enclave portugaise en mer de Chine n’usurpait pas vraiment sa réputation sulfureuse. Le crime organisé y prospérait tout comme la prostitution, toujours légale de nos jours.

Au titre de ma nouvelle activité de représentant multi-enseignes en hôtellerie, mes voyages dans la péninsule se firent très fréquents à partir des années soixante. J’ai alors bien connu Stanley Ho, tycoon sino-portugais qui a détenu le monopole du jeu à Macao jusqu’en 2002, trois ans après le retour de la ville dans le giron de la Chine populaire. Marqué par mes lectures faciles, je l’imaginais avant de le rencontrer comme le type même du chinois sournois, onctueux à souhait et propre à servir d’antithèse au héros occidental de nos romans, toujours parfait, lui, et d’une incontestable légitimité. Grand, mince, souriant, très élégant, Ho ne ressemblait bien entendu en rien à cette caricature. Sa fortune était considérable et Macao semblait lui appartenir.

. A quel hôtel êtes-vous descendu ? m’avait-il demandé au téléphone.

. Au Taïpa Square, avais-je répondu, gêné d’évoquer une enseigne concurrente.

. Taïpa ? Parfait ! Je vous y retrouve dans une heure. Chez O Manel, vous connaissez certainement. A tout à l’heure.

C’était un restaurant minuscule. Il y avait ses habitudes. Le dîner était servi sans commande, selon l’humeur du patron. Ce soir là il se composa d’un riz aux abalones, de coques à la coriandre, de croquettes de morues, le tout arrosé de vinho verde. Mais au menu figurait surtout un récit, celui de la vie d’un homme au destin exceptionnel, pas toujours avouable, et du dernier siècle d’histoire d’une ville qui voulait changer d’image.

. Les tripots ont fait leur temps, disait Ho, et avec eux le trafic d’opium que vous trouvez tellement pittoresque en Europe.

Désormais, promit-il, Macao serait célébrée pour ses palaces et ses casinos chics où feraient leur entrée les jeux internationaux sur tapis, la roulette et le black jack. De fait, les buildings et les hôtels-casinos de prestige y ont bien vite poussé comme des champignons et la surface de la presqu’île a doublé grâce aux terrains gagnés sur la mer. Chaque année, des centaines de milliers de joueurs avertis ou potentiels se pressent aux portes de Macao, à l’assaut des trente-cinq établissements clinquants qui entendent bien se partager cet immense gâteau.

Même si Macao pèse à présent quelque chose comme quatre fois Las Vegas, la ville, toujours joueuse, parie sur d’autres secteurs économiques. La production ou la représentation de mega-spectacles, signés Franco Dragone, à destination d’une clientèle familiale et le shopping de luxe se développent à grande vitesse. Surtout, les investissements sont gigantesques qui vont faire de Macao l’une des principales destinations mondiales pour le tourisme d’affaires et ce que l’on nomme aujourd’hui l’industrie du MICE. Macao s’apprête à vivre une troisième jeunesse.

Quand il m’arrive de retourner à Macao, je prends soin de séjourner au Grand Lisboa, un effroyable building verdâtre en forme de fleur de lotus. C’est le seul endroit de la ville d’où je sois absolument certain de ne jamais l’avoir dans mon champ de vision. J’y ai, moi aussi désormais, mes propres habitudes. Pas un séjour sans envisager de passer un long moment

sur Coloane, ancien repaire de pirates, poumon vert de la cité qui offre aux Macanais un havre de paix loin des turbulences du centre. Et puis, un bon tuyau : Lord Stow y vend les meilleurs pasteis de nata de la planète.

Aujourd’hui, je suis vieux, très vieux, anormalement vieux. En compagnie de mes amis chiliens, australiens ou de nationalité indéterminée, tous praticiens de l’art apatride, il nous arrive encore de connaître d’authentiques moments de débauche autour de deux ou trois bouchées vapeur dim-sum et d’un thé au jasmin. Alors, de manière inéluctable, l’un d’entre nous, toujours, finit par évoquer avec nostalgie l’époque révolue du Macao Palace, le mythique casino flottant, et de ses premiers « tigres affamés », cousins asiatiques de nos bandits manchots. Malgré les mises par milliards englouties depuis lors, leurs descendants ne sont toujours pas rassasiés.

turcan@covos.fr

 
 
 

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