Creiem en Roses
- didier turcan
- 20 oct. 2014
- 3 min de lecture

La Costa Brava avait alors, et depuis longtemps, la réputation d’être une destination ordinaire et bon marché. Un lieu de villégiature pour touristes espagnols, français, néerlandais ou allemands ne concevant les vacances qu’en juillet ou en août et en famille. Des familles persuadées de s’imprégner du folklore local en dévorant une paella douteuse dans le premier restaurant venu. Et qui raffolaient de ces vilaines cartes postales aux couleurs criardes et cent fois retouchées.
Le 15 août était prétexte à se lancer sans retenue dans une sardane gentiment massacrée sur la place principale, à l’entrée de la ville. Sur la plage, des groupes d’ados improvisaient d’indécentes scènes de corrida. Toute une époque.
Rosas – ou Roses pour les autochtones – dans la baie éponyme, s’apprêtait pourtant à connaître le destin des stations balnéaires les plus en vue de la Méditerranée.
Une première impulsion vînt avec cette décision de la société organisatrice d’en faire une ville-étape du Tour de France à la voile. De ville étrangère invitée à l’origine, elle devînt très vite une escale incontournable, plébiscitée par l’ensemble des régatiers. Malgré les vingt heures de route depuis la baie de Roscoff, les équipages goûtaient particulièrement le soleil de juillet de l’Alt Empordà. Et c’est au milieu d’une foule enthousiaste et curieuse que les M34 étaient grutés, remis à l’eau et rematés pour la seconde partie de l’épreuve. Acte un.
L’inattendu succès rencontré par le théatre-palais des congrès de Rosas surprît ses concepteurs eux-mêmes. Si les entreprises catalanes et midi-pyrénéennes alimentèrent régulièrement le lieu en conventions, réunions et colloques en tous genres dès les premiers mois de son ouverture, elles furent très vite supplantées par des firmes madrilènes et parisiennes dotées d’une incomparable force de frappe. L’offre hôtelière midscale environnante correspondait en outre parfaitement aux exigences financières de ces plus lointains donneurs d’ordre. La venue de quelques artistes renommés et sans frontières acheva d’inscrire la ville dans le circuit de l’entertainment international et de ses tournées prestigieuses.
Probablement anecdotique, quoique. Les raisons demeurent méconnues qui décidèrent ce célèbre cinéaste américain d’acquérir une superbe villa sur les Hauts de Rosas, là sans doute, où la vue sur la baie est la plus belle. Cette arrivée fut bien entendu médiatiquement relayée par la presse people qui braqua dès lors ses objectifs sur ce cap escarpé dont l’image fit bien vite le tour du monde. L’inévitable cortège de célébrités qui s’annonçait faisait naître l’espoir de futurs, croustillants et très vendeurs potins mondains. A découvrir et consommer en lecture-transat.
Les rois de la nuit s’intéressèrent alors assez naturellement à cette petite ville qui coulait jusque là une vie paisible. Et l’ouverture de la première boîte de nuit à ciel ouvert draina les fêtards venus d’Andorre, de Perpignan, de Gérone, de Figueras, de Cadaqués et même de Barcelone. D’autres viendraient, nombreux, dans leur sillage. Entre Saint-Tropez, tombé en désuétude et Ibiza dont les excès amusaient de moins en moins de monde, une place était à prendre, qui fut prise par une destination dont peu de spécialistes avait prévu l’arrivée sur la scène de la fête. Bona nit a tots.
Ce fut d’abord un, puis deux puis trois navires de croisières multi-ponts qui firent un matin leur apparition dans la baie de Rosas. En muets observateurs, ils repérèrent les lieux, le temps d’un déjeuner. Bientôt, ils feraient escale. La baie s’inscrirait désormais dans les carnets de bord des compagnies maritimes agréées.
Enfin, il y eut cette initiative du pape de la désormais très contestée cuisine moléculaire qui fit venir dix ans durant le monde entier dans son restaurant de Cala Montjoi, à présent fermé. Malgré de fortes résistances locales et plusieurs années de procédures, la Fondation El Bulli avait pu voir le jour un mois de juin dans cette crique du Cap de Creus. Le projet avait pour ambition de devenir le rendez-vous de tous les amoureux et des professionnels de la gastronomie d’avant-garde et de constituer une pépinière de nouveaux talents. L’ex- meilleur restaurant du monde, plusieurs fois consacré, deviendrait un musée et un laboratoire d’innovation culinaire. Quelques mois seulement après le lancement de la Fondation, le premier Forum gastronomique de Catalogne se tint dans les murs du palais des congrès pendant trois jours. Le succès fut considérable – on refusa du monde- qui accrût encore la notoriété de la localité. L’événement se tiendrait tous les deux ans.
Que manquerait-il encore à Rosas pour entrer dans la cour des grandes de Méditerranée ? Un rien de prestige sans doute, que le temps lui procurerait. Un peu de folie, un Ange bleu, un défraiement de chronique, tout cela viendrait, question de patience. En attendant, Rosas aurait à gérer la cohabitation de populations disparates et s’en accommoderait aisément. Elle userait pour cela d’une recette à la sauce catalane depuis bien longtemps éprouvée : une revendication identitaire forte certes mais ouverte sur le monde et favorable à la mixité des genres. Un maître-atout pour la suite de l’histoire.
turcan@covos.fr

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