Chérie, j'ai agrandi la ville
- didier turcan
- 18 août 2014
- 2 min de lecture

Au-delà d’être une expérience économique et marketing particulièrement réussie, le lancement de cette chaîne d’hôtels un rien bobo était une parfaite illustration de la théorie du grappin développée par ce sociologue suisse qui expliquait comment la ville gagnait du terrain sur la ville.
En quatre ans, plusieurs établissements s’étaient ouverts en France et à l’étranger. Dans chaque ville élue, les lieux d’implantation ne passaient pas vraiment pour être les quartiers les plus fréquentés par les touristes ou les initiés. Raison pour laquelle, précisément, ils avaient été retenus par les promoteurs du projet.
Prise de risques inconsidérée pour les uns, gros coup de pub pour les autres, l’initiative avait très tôt affolé les compteurs. La chaîne affichait quatre-vingt douze pour cent de taux de remplissage et se permettait à présent de sélectionner sa clientèle. D’une catégorie oscillant entre le deux et le trois étoiles, le nouveau produit hôtelier bouleversait les codes existants. Et bien sûr, dérangeait.
Le positionnement était clair dès le départ : un décor résolument design, des tarifs raisonnables, voire très raisonnables, un look extérieur presque banal, le tout dans un quartier populaire. Pas de vue sur le port ou sur la cathédrale mais la quasi certitude d’évoluer dans un morceau de ville en cours de gentrification. Et fort de cette impression valorisante d’être un précurseur, un défricheur, un qui a compris avant les autres.
Côté com’, on n’avait pas lésiné sur la métaphore. Les chambres étaient décrites comme efficaces, le décor et les agencements qualifiés de ludiques. Les moquettes étaient graphées, les prix riquiquis, le quartier improbable et l’ambiance calibrée au laser. Chacun prenait ce qu’il comprenait et comprenait ce qu’il voulait. Et ne pouvait être comblé ou déçu qu’au regard d’un a-priori parfaitement subjectif.
Côté clientèle, les styles étaient soigneusement mélangés. Touristes assumés et voyageurs d’affaire cohabitaient en bonne intelligence et partageaient, simples et complices, les événements musicaux et festifs programmés deux fois par semaine.
Dans quelques mois tout au plus, un café s’ouvrirait à proximité et dans la même rue pour accueillir en soirée les spectateurs de l’ancien gymnase réhabilité et reconverti en théatre. Peu à peu, les commerces changeraient de propriétaires ou d’exploitants et les flux se développeraient avec la ville centre. Quelques galeries d’art peut-être, le nouveau restaurant d’un très jeune chef étoilé, la douzième boutique d’un pâtissier de renom, un bar à vin, à bière, à pastis ou à ce que vous voulez viendraient enrichir la palette désormais proposée aux âmes passantes ou sédentaires.
Les villes grandissent d’abord par la création de nouvelles polarités dans des quartiers jusque-là négligés à l’intérieur de leurs frontières historiques. C’est même une condition essentielle de leur attractivité tout autant que de leur désengorgement. La société civile et les acteurs économiques libres jouent là un rôle majeur et déterminant.
Ce restaurant-cantine avait ouvert il y a deux ans déjà à l’entrée des marchés Paul Bert et Serpette. Il s’était très rapidement imposé comme un lieu incontournable pour tous ceux, jeunes et moins jeunes, qui voulaient approcher l’âme de la capitale, indissociable en cet endroit du son lointain de l’accordéon, du mobilier Napoléon III et de la porcelaine Louis-Philippe.
Et du cœur de Paris, ils affluaient à présent, nombreux, pour se réapproprier leur ville.
turcan@covos.fr




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