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La ville en Stetson

  • didier turcan
  • 23 mars 2016
  • 3 min de lecture

Philadelphie serait la ville de la gentrification positive.

Gentrification. Le terme, un soupçon prétentieux mais surtout très moche, désigne cette tendance des villes riches à l’embourgeoisement de leurs quartiers populaires.

Le phénomène n’est pas vraiment nouveau mais il s’amplifie. Il oppose hipsters et bobos d’un côté aux cols bleus, ou gris, de l’autre qui se livrent en silence une guerre impitoyable et assez inégale pour la conquête la plus ancienne qui soit, le territoire.

Ce professeur d’économie à l’Université de Villanova (Pennsylvanie) confirme les résultats d’une étude fédérale : la gentrification, à Philadelphie, n’aboutit pas forcément à un déplacement de population. Et d’établir que les plus pauvres peuvent même bénéficier d’un certain nombre d’avantages comme celui, par exemple, de la hausse du prix de l’immobilier … .

Pour ceux qui, parmi les plus démunis, ne seraient pas encore propriétaires d’un loft dans Walnut Hill ou sur Greene Street [….], la baisse du taux de criminalité entrainée par la gentrification leur garantit une meilleure solvabilité (sic) auprès des organismes bancaires et de crédit… .

Seule concession faite par notre sophiste local, ce navrant et regrettable constat : les plus démunis qui préfèrent s’exiler malgré tant de sollicitude ne peuvent plus revenir vivre dans les zones récemment embourgeoisées. Décidément, les pauvres manquent totalement de discernement, à Philadelphie comme ailleurs.

Mais il est vrai que le Grand Philadelphie s’est lancé dans une ambitieuse entreprise de séduction en entrant dans la compétition internationale de l’économie high-tech.

Car la ville se rêve en tech-city. Comcast, le géant du câble américain, finance en très grande partie la promotion d’un territoire à cheval sur la Pennsylvanie, le Delaware, bien connu des entrepreneurs étrangers, et le New-Jersey. Du sommet du plus haut building de la ville, le câblo-opérateur initie de nombreuses et impactantes campagnes de marketing urbain et œuvre sans relâche pour la plus grande attractivité possible de l’ancienne capitale. Rien n’est trop beau pour séduire les start-up de tous horizons et les détourner de Boston, New York ou de San Francisco.

Un mot d’ordre : convivialité. Les bureaux proposés dans la old city ressemblent à des galeries d’art, la décoration des espaces de co-working est laissée à l’appréciation débridée des utilisateurs ; ici, d’autres lieux de travail investissent une ancienne banque néo-classique et là, les recrutements se font dans un restaurant.

Philly assume tranquillement les défis de sa transfiguration. Mais sans négliger pour autant de soigner son image et sa réputation de ville touristique la plus abordable parmi toutes les grandes métropoles américaines.

Son maire, récemment entré en fonctions, entend bien persévérer dans cette double démarche qui marie course à la technologie et détournement d’usage, très prisé des visiteurs, qui évite de plomber tant les finances municipales que celles des partenaires privés.

Les grandes enseignes hôtelières sont plus que jamais invitées à exploiter les lieux qui rappellent le passé prestigieux de la ville. Le siège de la Girard Trust Company, avenue des Arts, jusque là inoccupé, a-t-il été ainsi investi par la chaîne Ritz Carlton il y a une quinzaine d’années. Plus récemment, Sofitel s’installait dans les locaux de l’ancien siège de la Bourse.

Les nouveaux occupants sont toutefois invités à réinterpréter, sans les dévoyer, tous ces bâtiments qui font la fierté de la ville et la commission historique municipale y veille scrupuleusement. Et dans le quartier de Rittenhouse Square, McDonald est interdit de séjour.

Le réceptionniste avait prévenu ; ici, avait-il dit, toutes les chambres ont vue sur l’histoire des Etats-Unis. Il avait raison. Contemplée du vingtième étage, la « ville plate » a des airs de forum yankee. Sage, droite et austère comme une constitution. Mais à l’intérieur du nouveau National Constitution Center, on découvre une pédagogie joyeuse très éloignée de la façon qu’ont les Européens d’entrer dans leurs musées comme dans des églises. Ici, on raconte l’indépendance puis la naissance juridique et politique d’une nation à grand renfort de shows multimédia, de son et lumière, d’animations interactives et de faux débats où pas un mot, pas une posture ne sont improvisés. Et c’est ainsi que l’on sensibilise grands et petits à des valeurs civiques partagées par toutes les couches de la population.

Cette invitation à diner au Talula’s Garden , un des restaurants les plus chics de la ville, était particulièrement bienvenue même si le dress code recommandé imposait un petit détour par l’hôtel. Dans quelques heures, au 1101 Arch Street, s’ouvrirait la seconde édition du congrès panaméricain « Urbanisme et Tradition ».

turcan@covos.fr

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