Billet. La folle zone
- didier turcan
- 10 juin 2016
- 3 min de lecture

Ainsi le sort semble-t-il jeté. Les « fans zones » se tiendront bien dans quelques grandes villes de France à l’occasion de l’EURO 2016. A Paris, le Champ de Mars se transforme peu à peu mais sûrement en une zone tout court qui oscille entre terrain vague et camp retranché.
Les alertes et mises en garde venant de tous horizons n’auront pas suffi. Depuis plusieurs semaines, de nombreux professionnels de la sécurité ont délivré leur verdict. L’opération n’est pas gérable. Les entreprises les plus performantes du marché ont décliné l’offre d’y participer. Trop, infiniment trop risqué. Le Département d’Etat américain a recommandé à ses ressortissants d’éviter la capitale. Le préfet de Paris lui-même fait état de personnels épuisés et redoute des défections dans ses rangs. En toute hâte, on forme des agents de sécurité parfaitement inexpérimentés et on sait déjà qu’ils ne seront pas sérieusement opérationnels. Les urgences de l’hôpital Pompidou préviennent qu’elles ne seront pas à même de faire face à l’afflux attendu de blessés (il y aura donc des blessés ?). Un français vient d’être arrêté en Ukraine, porteur de quoi commettre une quinzaine d’attentats sur le sol national (qui a entendu le moindre commentaire officiel sur cette info ?).
On nous promet un déploiement de forces de police inédit autour des stades. Fort bien. Au Stade de France, à Saint-Denis, la plus vaste enceinte du pays, on devra contraindre l’enthousiasme des 80 000 spectateurs des 7 matchs, seulement, qui s’y dérouleront sur un mois de compétition. Au Champ de Mars et alentours, pendant un mois, c’est près de 100 000 personnes au quotidien qu’il faudra gérer. Un grand délire.
L’argument principal mis en avant pour maintenir les fans zones est connu : il ne faut pas se soumettre à ceux qui ont ensanglanté le pays l’année dernière mais continuer de vivre comme si de rien n’était. Consternant. L’année dernière, précisément, l’état de guerre était proclamé par la plus haute autorité institutionnelle. Pouvons-nous vivre normalement alors que nous sommes en guerre ? Pouvons-nous ignorer la menace ? A quel acte de résistance imbécile nous convie-t-on ? Ne pourrait-on, bien au contraire, nous inviter à nous mobiliser sur les efforts indispensables à entreprendre désormais pour éradiquer définitivement cette menace ? Quant au pain et aux jeux, nous verrions un peu plus tard.
Un autre argument est avancé : les fans zones vont canaliser les supporters. Imparable. Un match de football, mi-temps comprise, dure deux heures environ. Mais avant ? Et après ? Sur le trajet aller ? Et sur celui du retour alors que l’on aura fait ample provision d’alcool puisque l’alcool y sera en vente libre ? Comment est-il envisagé d’empêcher les regroupements, les concentrations d’individus en des lieux variés qui favoriseront toutes les infiltrations imaginables ?
Certes, la France se devait-elle de respecter ses engagements à l’égard de l’UEFA, puis des autres nations participantes, et enfin de ses partenaires privés. Mais ces engagements, dont nous ignorons tant la teneur que l’étendue, ont-ils été convenus à n’importe quel prix ? En matière d’environnement ou de santé, le principe de précaution est invoqué quand le risque n’est encore qu’un soupçon. Avec les événements qui s’annoncent, nous parlons de circonstances où le risque est avéré et à ce point prévisible qu’il aurait pu rendre inéligible à la force majeure un éventuel renoncement de la France à l’organisation de l’Euro lui-même. Ne pouvant être irresponsable en droit, notre pays sera donc irresponsable en fait.
D’un côté, dans la balance, le vertige financier des préjudices qu’il aurait fallu couvrir et une réputation de boutefeu qui aurait vacillé et, de l’autre, une réédition puissance dix du 13 novembre. Les responsables politiques de ce pays, d’évidence, ont choisi. Bonne chance à tous.
turcan@valauval.fr
Image: Gustave Courbet, Le désespéré, 1843-45
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